- SYSTÈMES DE RETRAITE
- SYSTÈMES DE RETRAITEProtection sociale: les systèmes de retraiteLes systèmes de retraite des sociétés occidentales prennent eau de toute part. Ils sont, en effet, confrontés à un double mouvement. D’une part, le vieillissement de nos sociétés accroît fortement le groupe des bénéficiaires potentiels. D’autre part, la stagnation du nombre des actifs, liée à la crise de l’emploi, limite celui des cotisants. Face à cette évolution, les solutions envisagées — ou mises en œuvre — dans les différents pays sont diverses. Mais elles reviennent toutes au même: demander plus aux actifs, verser moins aux retraités.Nos sociétés vieillissent par les deux bouts, si l’on peut dire. Tout d’abord, les hommes vivent en moyenne de plus en plus vieux. Il y a deux siècles, près d’un bébé sur deux n’atteignait pas son vingtième anniversaire. Aujourd’hui, en France, c’est le cas d’un bébé sur cent. Et, sur mille nourrissons, huit cent cinquante fêteront leurs soixante ans. En outre, les personnes âgées vivent elles-mêmes de plus en plus longtemps. Meilleur suivi médical, soins plus efficaces et hygiène de vie plus stricte entraînent, chaque année, un gain d’espérance de vie de l’ordre de trois mois pour les hommes et de quatre mois pour les femmes (moins touchées par l’alcool et le tabac). Selon les prévisions des démographes, en 2020, un homme de soixante ans aura devant lui encore vingt-trois ans de vie, en moyenne, et une femme vingt-neuf ans.À ce vieillissement “par le haut” s’en ajoute un “par le bas”, lié à la réduction du nombre de naissances dans la plupart des sociétés occidentales (la Suède et l’Irlande faisant exception). Depuis le début ou le milieu des années soixante, la fécondité a amorcé un peu partout dans les pays capitalistes industrialisés une baisse prolongée, qui l’a amenée au-dessous du seuil de renouvellement à l’identique des générations. En Suède, et dans les pays scandinaves, une remontée s’est esquissée. Mais ce n’est pas le cas ailleurs. Cette seconde composante du vieillissement ne joue, pour l’instant, qu’un rôle limité: simplement, la pyramide des âges voit sa base se rétrécir un peu. Dans l’avenir — à partir de 2010 —, lorsque ces classes d’âge peu nombreuses représenteront l’essentiel des adultes, tandis que les générations nombreuses du baby-boom accéderont à l’âge de la retraite, le déséquilibre démographique se fera sentir à plein. Les deux causes du vieillissement cumuleront leurs effets, et nos sociétés prendront de l’âge à vitesse accélérée.Ces phénomènes démographiques se doublent, dans les pays européens en particulier, d’un phénomène social: le nombre des actifs occupés tend à stagner (aux environs de 21 millions de personnes en France, par exemple). On pensait qu’il s’agissait là d’un phénomène passager, lié à la crise. Il semble bien, en fait, que les années à venir ne seront pas très différentes: la croissance de la production plafonne à 2-3 p. 100 chaque année — quand elle atteint ces chiffres —, et les gains d’efficacité technique suffisent largement à assurer ce rythme de croissance, sans que les entreprises soient amenées à embaucher. La montée du chômage absorbe ainsi une part grandissante des ressources de la collectivité, tandis que le nombre des cotisants ne progresse guère.Répartition ou capitalisationOn comprend que ces perspectives menacent les systèmes de retraite tels qu’ils ont été conçus au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans ces mêmes pays. Il s’agissait alors d’assurer une meilleure répartition des revenus entre les différentes phases de la vie de chaque travailleur. Les solidarités familiales, qui traditionnellement jouaient ce rôle, tombaient en désuétude avec le déclin des exploitations familiales (agricoles, artisanales ou commerciales) et avec l’urbanisation, qui sonnait le glas de la famille rurale étendue. Il existait, certes, depuis longtemps des systèmes de retraite, mais ils ne couvraient que certaines branches d’activité (les mines, les banques et la fonction publique en France, la sidérurgie au Royaume-Uni) ou certaines professions (les cadres, souvent). Les généraliser à l’ensemble des activités paraissait une nécessité sociale, pour empêcher, ou limiter, la paupérisation qui menaçait alors beaucoup de travailleurs âgés dès qu’ils cessaient leur activité professionnelle.Deux grands types de mécanismes étaient concevables: la capitalisation ou la répartition. Dans le premier cas, les cotisations de chacun servent à acquérir des actifs — immeubles, actions, obligations, etc. — générateurs de revenus, eux-mêmes réinvestis, de sorte que l’organisme gestionnaire puisse, en liquidant progressivement ces actifs le moment venu, verser une rente qui constitue la retraite. Certes, on pourrait imaginer que ce mécanisme soit mis en œuvre par chacun des intéressés, de façon individuelle. Mais le choix des actifs à acquérir, leur gestion et leur revente sont, en général, mieux assurés par des professionnels; en outre, et surtout, en regroupant les cotisations, le gestionnaire procède à une “mutualisation” des risques: si tel actif se dévalorise, tel autre peut s’apprécier, si bien que, au bout du compte, les pertes éventuelles sont plus sûrement compensées par des gains.Curieusement, très peu de pays ont choisi ce premier système comme base principale: ce n’est le cas que de la Suède et du Japon, qui n’ont pourtant pas la même conception — c’est le moins qu’on puisse dire — de l’État-providence. Cette méfiance vis-à-vis du mécanisme de la capitalisation n’était pas de nature idéologique. Elle était pragmatique, inspirée par l’expérience récente — et traumatisante — de la grande crise des années 1930. La plupart des actifs avaient alors vu leurs cours s’effondrer. Comment être certain que cela ne se reproduirait pas à l’avenir? La capitalisation repose sur un pari sur l’avenir qu’à l’époque la plupart des acteurs sociaux ne se sentaient pas prêts à relever.Le choix de la répartition s’est donc imposé. Selon ce mécanisme, les cotisations des actifs occupés sont redistribuées aux retraités soit en fonction du nombre d’années de cotisations et du revenu d’activité, soit en fonction du nombre de points acquis. Bien entendu, chacun de ces deux critères peut être différencié à l’infini: par exemple, en ce qui concerne le revenu sur la base duquel est calculée la retraite, on a pu prendre le salaire des six derniers mois (cas de la fonction publique française), celui des vingt dernières années (cas du régime général en France), la moyenne de la vie professionnelle sauf les cinq moins bonnes années (cas des États-Unis), etc. On peut agir aussi sur l’âge de la retraite, sur la durée minimale de cotisations ou sur le plafonnement du salaire sur lequel sont prélevées les cotisations. En outre, il existe généralement un minimum appelé “non contributif”, pour permettre à ceux qui n’ont pas cotisé ou qui n’ont pu le faire assez longtemps de percevoir, malgré tout, un revenu de base. Mais le principe est toujours le même: les retraités se partagent les cotisations des actifs.On oppose ainsi souvent la répartition, où l’on connaît exactement le montant à partager, et la capitalisation, où le montant auquel chaque cotisant aura droit est incertain, puisqu’il dépend des fluctuations à venir des rendements et des prix des actifs. Opposition en réalité fictive, puisque, dans le cas de la répartition, on ignore quelle sera la masse salariale future sur laquelle seront prélevées les cotisations (et même quel sera le niveau des cotisations).De même, on oppose souvent une capitalisation où chacun cotiserait pour soi et une répartition où chacun cotiserait pour les autres (les retraités du moment). La première reposerait sur un transfert d’épargne à travers le temps, la seconde sur une solidarité entre générations. Là encore, il s’agit largement d’une opposition fictive: les retraites sont toujours un prélèvement sur les revenus potentiels de ceux qui travaillent. L’idée que, grâce à la capitalisation, on se constitue un magot qui servira ensuite est fausse. Le mécanisme est autre: la capitalisation permet la formation d’une épargne qui, investie, donnera naissance à des revenus ultérieurs, dont une part ira aux futurs retraités. Ce n’est donc pas la capitalisation qui engendre des revenus pour le futur: c’est la croissance économique qu’alimente l’épargne placée par les organismes gestionnaires de fonds. Et la partie de ces revenus qui sera versée aux retraités réduira d’autant ce que les salariés auront à se partager, exactement comme s’il s’agissait d’un mécanisme de répartition. Le fait que les règles de constitution des droits à retraite soient différentes n’implique pas que l’on disposera à l’avenir d’un trésor caché, dans un cas, et pas dans l’autre.Un choix largement irréversibleCela ne signifie pas, cependant, que les deux mécanismes produisent des effets identiques. On peut souligner deux différences majeures. La première concerne le cadre institutionnel: la répartition implique un système obligatoire et centralisé. Obligatoire, parce que, si certains choisissaient de ne plus cotiser au système, de façon à pouvoir mettre de l’argent de côté pour eux-mêmes, les retraités verraient leurs revenus baisser d’autant, ce qui constituerait un manquement au pacte social: les retraités auraient cotisé en partie “pour des prunes”. Centralisé, parce que le rapport cotisants/retraités varie tellement d’une profession, d’une branche ou d’une catégorie sociale à l’autre que des inégalités considérables seraient créées si la répartition des cotisations se faisait à l’intérieur de chacune d’elles. Ainsi, dans les mines ou dans les chemins de fer, il y a moins d’un cotisant par retraité, en raison du déclin important de ces activités. La centralisation n’étant pas toujours possible, il existe des mécanismes complexes de “compensation démographique”, par exemple, en France, entre le régime général et certains régimes particuliers où le rapport cotisants/retraités est faible (cas des agriculteurs). Au contraire, le régime de capitalisation peut être décentralisé, et même facultatif, puisque chacun n’aura, au bout du compte, qu’une retraite proportionnée à ses cotisations cumulées.La seconde différence concerne le démarrage du système. Avec le mécanisme de capitalisation, les caisses de retraite, dans un premier temps, ne distribuent guère de revenus: les nouveaux retraités n’ont pas assez cotisé, et ce n’est qu’après une vie active entière que le montant capitalisé permet de recevoir des retraites “normales”. Au contraire, avec la répartition, les retraités se partagent les cotisations des salariés, si bien que leurs retraites peuvent être d’emblée appréciables, même s’ils n’ont guère cotisé. On comprend l’attrait irrésistible que ce dernier mécanisme exerce sur les acteurs sociaux lors de la création du système de retraites: il est directement opérationnel, même si cela revient en fait à manger son pain blanc le premier. De même, on comprend la difficulté de passer de la répartition à la capitalisation. Durant la période de transition — une vie active —, les cotisants devraient cotiser deux fois: une fois pour permettre aux retraités de percevoir quelque chose; une seconde fois pour capitaliser pour eux-mêmes.Dans ces conditions, le choix entre les deux systèmes est largement irréversible: à la façon d’un train engagé sur une voie à la suite d’un aiguillage, il est difficile de revenir en arrière. Tout au plus peut-on compléter le régime de retraite existant par un régime reposant sur un autre mécanisme. Ainsi, aux États-Unis, au régime de base (répartition) se sont ajoutés des régimes — facultatifs — d’entreprise assis sur la capitalisation. En France, curieusement, les régimes complémentaires ont choisi, eux aussi, la répartition, sans doute parce que, à l’époque où ils ont été créés (1947 pour les cadres, 1957 pour les autres), le marché des actifs susceptibles d’être achetés était trop étroit, ce qui créait des risques excessifs pour l’épargne gérée. Surtout, l’inflation laminait alors les rendements, et la répartition présentait beaucoup plus d’attraits.Quel degré de solidarité?Le vieillissement remet en cause l’un et l’autre système, mais pas de la même manière. Dans les deux cas, on l’a vu, les retraites sont payées par un prélèvement sur le produit réalisé par ceux qui travaillent. Mais, lorsqu’il s’agit de répartition, il existe toujours, plus ou moins accentués, des dispositifs de redistribution (compensation démographique, mais aussi minimum vieillesse, majoration pour enfants, prise en compte des périodes de chômage et de service national, etc.). Toutes ces mesures font qu’une augmentation des taux de cotisation des retraites par répartition se traduit par une augmentation en général un peu moindre des droits à retraite de ceux qui cotisent. Rien de tel pour les retraites par capitalisation: toute augmentation des cotisations se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une augmentation analogue des droits à retraite. Autant dire que l’acceptation d’un relèvement des cotisations est plus grande dans le second cas que dans le premier. Ce ne sont donc pas les vertus financières de la capitalisation qui rendent aujourd’hui ce régime attrayant, ce sont ses vertus politiques: la hausse des cotisations est plus facile.Dans les pays où seule existe la répartition, le cocktail de mesures vise donc plutôt à réduire le montant des pensions versées qu’à augmenter le montant des cotisations. Ainsi, en Italie, la réforme de 1992 retarde l’âge légal de la retraite (soixante-cinq ans pour les hommes) et allonge la période prise en compte pour le calcul des pensions (qui seront de 80 p. 100 du salaire des dix dernières années, au lieu des cinq dernières années). Même évolution en France: le nombre d’années de cotisation est augmenté (de 37,5 à 40 années) pour le régime de base, et les vingt dernières années de cotisation, et non les dix meilleures, seront prises en compte. En revanche, aux Pays-Bas, où les retraites complémentaires sont organisées sur le mode de la capitalisation (avec gestion paritaire des fonds de pension), c’est la hausse des cotisations qui prévaut. Aux États-Unis, où le système est mixte — répartition pour le régime de base (Social Security Old Age and Survivors Insurance, O.A.S.I.) et capitalisation pour les retraites complémentaires d’entreprises —, l’âge de la retraite à taux plein est progressivement repoussé de soixante-cinq à soixante-sept ans, et le taux des cotisations est relevé. En Grande-Bretagne, la réforme a pris d’autres aspects: depuis 1988, la possibilité est ouverte aux salariés d’une entreprise de cotiser auprès d’un fonds de pension par capitalisation à la place du régime complémentaire d’État, le S.E.R.P.S. (State Earnings Related Pension Scheme), dès lors que le fonds de pension en question s’engage à verser une retraite au moins égale à celle du S.E.R.P.S. Le succès a été immédiat, puisque 46 p. 100 des salariés ont choisi cette forme “privée”. Mais le scandale des fonds du groupe Maxwell, dont on s’est aperçu, après la disparition du magnat de la presse, qu’ils avaient été utilisés pour tenter de renflouer le groupe, a fortement modéré cette évolution.Au fond, le problème des retraites est simple: ou bien les actifs acceptent de payer davantage, parce qu’ils sont proportionnellement moins nombreux et que les retraités vivent plus longtemps, ou bien les retraités devront disposer de moins d’argent à l’avenir. Politiquement et économiquement, le premier choix est difficile: il implique, en effet, un alourdissement de l’impôt ou du coût du travail, dans une économie de plus en plus “globalisée”. Le second choix est socialement contestable, car il tend à accentuer les inégalités: ceux qui disposent déjà de faibles revenus d’activité sont pénalisés, tandis que les autres peuvent cotiser volontairement à des systèmes facultatifs par capitalisation. Le problème financier du “combien payer?” cache donc une interrogation plus fondamentale sur les mécanismes de solidarité qui cimentent toutes les sociétés. Quelle part faut-il mettre en commun? quelle part faut-il individualiser? Voilà le véritable débat sur les retraites, trop souvent masqué par des considérations démographiques. Le vieillissement du corps social est la partie visible de l’iceberg des retraites; la partie cachée est le degré de solidarité qu’acceptent les cotisants. “Payer plus? Oui, mais à condition que ce soit pour moi”: telle est la ligne qui inspire la majeure partie des réformes depuis la fin des années 1980.
Encyclopédie Universelle. 2012.